Fidel Castro est mort ! Voilà ce que je lis en français sur un écran de télévision à Cuba. C’est une dépêche AFP avec la photo de Fidel, j’ai presque du mal à y croire ! Il est 7 heures du matin le 26 novembre 2016, je suis à Moron, une petite ville de Cuba, lorsque j’apprends la nouvelle. J’appelle tout de suite ma mère pour lui dire de venir voir et on regarde les nouvelles à la télé. Ce matin-là, on se ballade dans Moron où il n’y a pas encore beaucoup de monde dans les rues si tôt, les gens regardent la télé la porte ouverte et nous invitent même à la regarder avec eux, l’hospitalité cubaine ! Je suis en voyage à Cuba pour faire un road trip avec mes parents. Du coup, ils annoncent 9 jours de deuil national et un enterrement à Santiago de Cuba le dimanche 4 décembre. On avait prévu d’être à Santiago, mais pas ce jour-là. On change donc notre itinéraire pour inclure l’enterrement de Fidel Castro au programme ! Un truc pareil, ça ne se loupe pas. Les grands événements et faits historiques m’attirent. Je ne suis pas communiste ou fidéliste mais quand je visite un pays, je m’intéresse toujours à ce qui intéresse le peuple du pays que je visite, ce qui passionne les gens, ce qui les anime. Et bien croyez-moi, pour parler de gens passionnées, je n’ai jamais vu un truc pareil de toute ma vie ! Voici le récit.
Le deuil national
En forme de respect à Fidel Castro, l’état annonce neuf jours de deuil national. En lisant cette info, je ne voyais pas vraiment ce que ça voulait dire, mais j’ai très vite compris le soir même quand on a refusé de nous servir un mojito au restaurant. On a donc dîné à l’eau avec mes parents, une ambiance triste et glauque, régnait ce soir-là : dîner à l’eau dans le silence, vraiment bizarre à Cuba !
Donc le deuil national, ça veut dire : pas de vente d’alcool, ni au restaurant, ni dans les boutiques ; pas de musique, pas de fête ! Bref, on n’a plus l’impression d’être à Cuba ! Ce soir-là, on est à Trinidad, la ville de la fête par excellence, qui bouge tous les soirs d’habitude. Je dis bien à mes parents que normalement ce n’est pas du tout comme ça. En plus, c’est samedi soir ! L’escalinata : l’escalier où se trouvent la casa de la musica qui endiable les soirées trinidadaises est silencieux. Il y a tout de même des gens assis qui discutent et qui regardent leurs emails car c’est un point wifi ! Neuf jours comme ça, ça va être vraiment pesant ! Heureusement, les musées et sites touristiques sont ouverts, on peut donc continuer à visiter normalement. Du coup, on se couche tôt, on se lève tôt et on roule beaucoup.
Les signatures de réaffirmation des principes de la Révolution
Les dimanche et lundi qui suivent la mort de Fidel, les gens font la queue pour aller signer. Signer quoi je leur demande : on me dit « c’est pour la mort de Fidel », un hommage certains me disent. En fait, c’est une réaffirmation des principes de la Révolution, comme quoi les Cubains approuvent et continuent à respecter et à se battre pour ces principes et idéaux. C’est vraiment impressionnant de voir tous ces gens faire la queue pendant des heures (bon ça en fait, ils ont l’habitude à Cuba de faire la queue !) pour signer.
Place de la Révolution : hommages et cérémonies
Après les signatures, les cendres de Fidel sont exposées Place de la Révolution à la Havane. Une cérémonie d’environ quatre heures a lieu, avec des interventions des chefs d’état amis notamment Nicolas Maduro du Venezuela et Evo Morales de Bolivie. Malheureusement, nous étions déjà à l’autre bout du pays à Santiago, on a donc regardé cela en partie à la télé. Encore une fois, alors que je penchais la tête pour voir la télé, des gens nous ont ouvert leur porte et fait asseoir dans leur salon pour regarder avec eux. C’était vachement impressionnant de voir tout ce monde, moi qui n’ai vu la place de la Révolution de la Havane que vide ! La cérémonie était retransmise sur grand écran à Santiago place Cespedes et place de Mate.
La cortège funèbre avec les cendres de Fidel à travers tout le pays
Le lendemain, les cendres de Fidel prennent la route du Sud et parcourent le pays pendant quatre jours. Malheureusement, je n’ai pas réussi à voir le cortège funèbre. Mais les gens étaient rassemblés pendant des heures pour le voir passer dans tout le pays. Il a pris la route principale qui traverse le pays ; d’ailleurs, ça a perturbé un peu plus les transports. Des travailleurs s’activaient pour rendre la route plus belle : remettre du goudron sur la route dans les trous, couper l’herbe au bord, repeindre les arrêts de bus. « C’est pour le passage de Fidel » m’a-t-on affirmé !
Place de la Révolution à Santiago de Cuba
Les cendres de Fidel arrivent à Santiago de Cuba le samedi 3 décembre. Ce soir-là, il y a une cérémonie d’hommage sur la place de la Révolution, et là j’y vais avec mes parents. Plusieurs heures avant, on y passe en repérage, il y a déjà plein de monde. Les gens ont emmené des photos de Fidel, ils portent des brassards rouge et noir du mouvement révolutionnaire du 26 juillet.
La cérémonie commence à 19 heures précises et à ma surprise, elle ne dure qu’1h30. Les chefs d’état étrangers ou représentants étaient là, mais aucun d’entre eux n’a parlé. J’ai d’ailleurs vu Ségolène Royal de loin, qui était là pour représenter la France et soutenir l’amitié franco-cubaine.
Le discours du frère et chef d’état Raul Castro a clôturé la cérémonie. J’ai aussi beaucoup parlé et partagé avec des Cubains à Santiago. Les Cubains agitaient des petits drapeaux cubains, les discours étaient ponctués de « Hasta la Victoria Siempre », la célèbre phrase du Che « jusqu’à la victoire toujours » ou bien « Patria o muerte, venceremos » = « Patrie ou mort, nous vaincrons ». Et le peuple criait en cœur « Yo soy Fidel » = « Je suis Fidel » et aussi « Raul, amigo, el pueblo esta contigo » = « Raul, ami, le peuple est avec toi ».
Beaucoup d’entre eux ont passé la nuit sur la place de la Révolution pour veiller sur Fidel. J’avoue, ça me semblait un peu exagéré, mais ils m’ont dit qu’ils passaient bien des heures et des heures pour l’écouter parler, alors ils pouvaient bien le veiller une dernière fois. Moi j’y suis retournée le lendemain matin, mais j’ai loupé le cortège, parti plus tôt que ce qu’on m’avait dit. C’est toujours difficile d’avoir des informations précises à Cuba ! Les Cubains, eux n’ont rien loupé !
Fidel au cimetière Santa Ifigenia de Santiago
Le cortège s’est rendu au cimetière Sainte Iphigénie et l’enterrement a eu lieu avec une cérémonie intime. Je pensais pouvoir assister à l’enterrement mais non ce n’était pas possible, même la presse ne pouvait pas y assister. L’après-midi, nous somme allés au cimetière vers 14h50 et à 15h, ils ont ouverts les portes pour que les gens se recueillent sur la tombe de Fidel. Par petits groupes de 15, les gens ont pu aller sur la tombe et y déposer leurs fleurs ou une rose distribuée par la responsable du cimetière elle-même. Une grosse pierre avec écrit « FIDEL » tout simplement ! Il est aux côtés de Jose Marti, le père de la nation, et de plein d’autres révolutionnaires. Dans ce magnifique cimetière, que je vous conseille de visiter si vous allez à Santiago, on y voit aussi la tombe de Compey Segundo, du Buena Vista Social Club.
La tristesse du peuple cubain et leur avis sur Fidel Castro
Ce qui m’a frappé, c’est la tristesse du peuple cubain, même s’ils n’étaient pas du genre à pleurer, ils sont tous à fond derrière Fidel. À vrai dire, dans la rue, en voyageant normalement, la mort de Fidel n’avait pas l’air d’affecter beaucoup les Cubains, la vie continuait normalement plus ou moins. On ne voyait rien de spécial, mais c’est en parlant avec eux qu’on comprend mieux ce qu’ils pensent. Comme je faisais un road trip à Cuba avec mes parents et que le transport à Cuba, ça ne fonctionne pas terrible, on n’a pris des dizaines et des dizaines d’auto-stoppeurs, et à tous ceux qui se succédaient dans notre voiture, on leur posait la même question, à savoir s’ils étaient tristes et ce qu’il pensaient de Fidel. On essayait toujours de les mettre en confiance au maximum pour qu’ils nous disent ce qu’ils pensent vraiment. D’ailleurs, après nous avoir dit qu’ils étaient tristes vite-fait, en approfondissant la discussion, les langues se déliaient. Mais tout de même, ils étaient tous tristes, à plus de 95% selon mes statistiques personnelles des gens montés dans notre voiture.
Quand on approfondissait, certains nous disaient que le système ne fonctionnait pas, qu’il y avait beaucoup de problèmes, etc. mais cela ne les empêchait pas de soutenir Fidel et la Révolution cubaine. Les étudiants nous disaient que c’était grâce à lui qu’il pouvaient étudier. Tous étaient d’accord pour dire que Fidel les avaient libérés du dictateur Batista et que grâce à lui, ils avaient l’éducation et la santé gratuite, que personne ne meure de faim et que tous les citoyens sont égaux.
Une fille nous a dit, qu’elle n’était pas communiste mais « fidelista ». Bref, sans approuver le régime en vigueur, elle admirait Fidel et lui était reconnaissante. D’autres nous ont dit qu’ils avaient perdu un Père. Une fille a même dit que c’était le deuxième Pape du monde, car il n’avait pas seulement aidé Cuba mais le monde entier.
Quant aux opposants, on n’a eu qu’un seul couple qui nous a dit qu’il s’en foutait et était contre Fidel Castro, que le pays était pauvre, etc. Il aurait fallu que je compte mais à mon avis, il y a bien au moins 100 personnes qui sont montées dans notre voiture ! Donc le pourcentage contre Fidel est très faible. Une jeune femme, psychologue de formation mais qui vendait maintenant des fringues au noir car ça gagnait mieux, nous a dit qu’elle n’était pas allée signer la réaffirmation des principes de la Révolution mais que si on lui demandait, elle dirait qu’elle n’a pas eu le temps ou qu’elle a oublié, car c’est très mal vu.
Le mythe Fidel Castro
Il y a plusieurs infos qui m’ont étonné ou impressionné sur Fidel Castro, je les ai apprises en discutant avec les Cubains. Je n’ai donc pas forcément de source pour les confirmer. Je vous conseille aussi de lire sa biographie sur wikipedia, une grande source d’informations.
Les Cubains parlent de Fidel Castro en disant « El Comandante » ou « Fidel », mais jamais Castro par exemple. D’ailleurs sa tombe ne porte que l’inscription « FIDEL » !
Il y avait avant sa mort, une sorte de mythe sur l’immortalité de Fidel Castro. Il a été l’objet de plus de 600 attentats. Plusieurs fois, il aurait du mourir exécuté, lors d’une bataille sanglante, en mer, etc., bref la liste est longue. Mais non Fidel Castro est mort à 90 ans d’une mort naturelle ! Mais d’ailleurs, pour les Cubain, Fidel est immortel, il continue de vivre, car il s’est multiplié. Il est maintenant vivant dans des milliers de Cubains, d’enfants cubains et même au-delà des frontières. Et comme disait Fidel je crois : « Les hommes meurent mais les idées restent. »
Fidel Castro est contre le culte de la personnalité, il a donc émis comme souhait avant de mourir, qu’il ne voulait aucune statue ni nom de rue à son nom, même après sa mort, c’est ce qu’a dit Raul Castro lors de son discours place de la Révolution à Santiago.
Fidel Castro avait le don de prévoir le futur. Parait-il qu’il avait, plus ou moins fait ses adieux récemment et qu’il avait prédit mourir à 90 ans. Il a aussi dit que l’embargo sur Cuba cesserait quand les États-Unis auraient un président noir et que le Pape serait sud-américain. Et bien, la négociation n’a-t-elle pas commencé avec Obama et alors que le Pape François est Argentin ?!
Bref, que l’on soit pour ou contre Fidel, communiste ou pas, il est indéniable de reconnaître que ce fut un grand homme qui aura beaucoup marqué le XXème siècle, que ce soit dans l’histoire de Cuba comme dans celle du monde entier !
Par Emilyz
Globe-trotteuse, digital nomade et créatrice de contenu, Emily parcourt le monde et partage ses passions pour le voyage et le cinéma ainsi que ses bons plans.
SUIVEZ SES AVENTURES SUR INSTAGRAM.
Jeremy
Nous on était dans un bar à La Havane, et puis la musique s’était éteinte un peu tôt, du coup on est rentré à notre casa. Le lendemain, direction la station de bus Viazul à La Havane pour le trajet La Havane => Viñales. On voit du Fidel un peu partout à la TV, on se dit juste « boh on est à Cuba, normal qu’on le voit partout ». Et on se met à penser « t’imagines le jour où Fidel va mourir ? C’est un peu comme quand Johnny va mourir en France, on va en entendre parler pendant 3 semaines ». On arrive à destination, et à la case on se met à rêver d’un mojito d’accueil, et on a eu le droit à un « Ca va pas être possible, deuil national de 9 jours pour el commandente ». C’est là qu’on a compris que sur les 10 jours qu’il nous restait, on allait en avoir 9 sans musique ni alcool 😀
Emilyz
Merci pour ton témoignage. Nous, on a réussi à avoir des bières dans les casas et quelques mojitos dans les paladares quand même!
Sarah
Vraiment intéressant comme récit! J’aurais bien aimé avoir la chance de vivre un moment historique comme ça lors de mes voyages. D’autant plus qu’en parlant bien espagnol, tu as pu bien discuter avec les gens de leurs impressions, un récit qu’on n’a pas toujours bien dans les médias officiels. Hâte de lire les articles sur ton road-trip avec Cuba en tout cas!
Lucie A.
Merci beaucoup Emily, ton article est passionnant et c’est intéressant de voir ce qu’ils se passent réellement dans l’actualité, sans le prisme des médias!
Fred
Je viens de decouvrir ton blog, super intéressant, je reviens moi même de Cuba.
As-tu écris sur ton road trip là bas?
Amitiés
Fred
Emilyz
Bonjour Fred,
oui j’ai déjà écrit un article sur mon road trip à Cuba, mais je ne l’ai pas encore publié. Ça devrait venir très vite, continue à suivre le blog et j’aurais plusieurs articles à publier sur sur Cuba.
Paulo Oliveira
J’aime Cuba et ses habitants. Ils sont très amicaux comme les Brésiliens. Même pendant de graves problèmes sociaux. Je n’ai pas encore visité. Je le veux vraiment. 🙂
Steevemn
J’étais en Amérique du Sud quand c’est arrivé, comme de raison les réaxctions étaient mitigés! On dirait que certains le vénèrent et d’autres moins, c’est toujours intéressant d’avoir des discussions sur le sujet, particulièrement avec les Vénézueliens, ils semblent l’adorer!